La troisième édition du jeu « 1899, la Nuit des Masques » de l’association les Masques de Dana’t s’est tenue du 13 au 15 mars 2015. Comment parler d’un jeu extrêmement secret, dont les anciens joueurs sont tenus à une stricte clause de non-divulgation de ses éléments afin de ne pas empêcher de possibles rééditions ? En ces temps de discussions sur la part respective du secret et de la transparence et de la manière dont il convient de déterminer pour soi où l’on place le curseur entre ces deux extrêmes sur un jeu, un jeu s’appuyant sur un strict secret interpelle. Cet article s’évertuera donc, sans aucun « spoiler », à établir l’importance du secret et son usage sur le « 1899 ».
Le contexte
Vous recevez une invitation bien mystérieuse. Un énigmatique lord anglais vous convie à une soirée mondaine suivie d’une partie de campagne en son château. L’assistance y sera brillante, composée du gratin ou de l’élite de la place parisienne. À la clef, la possibilité d’entrer dans un monde qui ouvre toutes les portes, permet d’accomplir les plus grandes destinées, ou les plus secrètes ambitions. Mais derrière le faste de la Belle époque, quels secrets et manigances se dissimulent-ils ?
Côté joueurs, peu d’informations additionnelles si ce n’est une feuille de route très détaillée (en termes de costumes et de logistique en particulier), une requête expresse demandant à faire confiance à l’organisation pour, je cite, « surprendre, faire rêver, mais aussi déstabiliser et confronter à des situations astreignantes ». Ajoutez à cela une question sur les phobies que l’on pourrait avoir en tant que joueur, et l’on comprend que l’on signe pour une expérience intense.
L’intérêt du secret
On n’en sait donc pas plus, et le joueur, ainsi que le personnage, fonctionnent avec un niveau identique d’incertitude. La part prépondérante des secrets entraîne donc une immersion progressive dans le monde de 1899, dont la découverte, ainsi que celle de ses résidents, permet une succession de scènes mémorables. Cependant, lorsque l’on parle de secrets, il ne s’agit pas ici de révélations de backstory propres au registre romanesque, mais d’une expérience sensorielle et émotionnelle assez unique. Quoique les personnages aient leur lot de mystères et d’intrigues au sens classique du terme, c’est dans la plongée dans son univers que 1899 trouve sa force et son intérêt, et réussit à être aussi haletant par moments que dérangeant par d’autres.
La principale limitation de ce passionnant exercice de style ludique se trouve dans un caractère parfois linéaire du déroulement, un trait admis par l’organisation elle-même, et la contrainte qui s’exerce occasionnellement sur les joueurs, empêchant une totale liberté de mouvement et d’action dans l’interprétation de leur personnage. Cela peut rendre parfois l’immersion difficile, en particulier dans la première partie du jeu où beaucoup d’efforts doivent être faits pour rendre crédibles les interactions entre mondains. Cependant, lorsque le jeu finit par prendre son rythme de croisière, il devient extraordinairement fort, avec une tension véritablement palpable. La fin en revanche peut également paraître très dirigiste, même si les éléments contraignants n’ont manifestement pas été perçus comme tels par tous les joueurs.
Au terme de sa conclusion, cependant, on ne peut que se féliciter d’avoir fait partie des invités triés sur le volet de cette réception de 1899, ne serait-ce que pour le caractère résolument unique de l’expérience.
Le secret et ses limites
Au regard de ces éléments, il est donc acquis que le rôle du secret sur 1899 est central, mais plus encore, justifié. Une fois encore, le cœur du jeu est de l’ordre de l’expérience physique et sensorielle, avec des effets qui nécessitent d’être reçus de manière immédiate pour avoir l’impact souhaité. On pourra qualifier ce choix d’approche ascendante dans le domaine de l’émotion perçue : celle-ci doit être reçue de manière brute, sans décodage cérébral possible. Par conséquent, autant le secret n’a pas vocation à être une fin en soi, autant il manifeste ici son utilité.
En revanche, deux points peuvent être à interroger sur le choix du secret total. Les joueurs se voyant remettre un trombinoscope commun leur permettant de connaître tous les personnages et donc joueurs présents – quoique le plus tardivement possible pour éviter là encore les éventuelles indiscrétions –, on se demande pourquoi le secret est de mise même sur le fait de participer au jeu, secret parfois éventé par les demandes d’emprunt de costume, et qui complique sensiblement la gestion matérielle et le covoiturage.
Le second point concerne la sécurité. Les joueurs se voient signifier un safeword d’arrêt si une scène devient trop pénible, et l’équipe, soutenue par d’anciens joueurs enthousiastes, est extrêmement attentive à ce que les contraintes soient équilibrées et graduelles, permettant de tester l’endurance des joueurs sans leur faire prendre de risques inconsidérés. On peut cependant penser qu’un safeword pour accentuer l’intensité d’une scène pourrait être utile. Par ailleurs, sur les deux points mentionnés, un briefing sur l’étiquette et la manière de s’adresser aux personnages, ainsi que sur les contacts physiques, pourrait permettre de gérer de manière plus fluide ces deux aspects du jeu, même si ceux-ci sont déjà fort bien maîtrisés en l’état des choses.
Conclusion
Sans pouvoir malheureusement en dire plus, on conclura sur le fait que 1899 est un jeu unique, qui impose un secret nécessaire afin de soutenir une scénographie originale et pertinente pour l’intrigue qu’elle vise à mettre en scène. Il s’agit d’un jeu bien construit, et qui a valu à nombre de ses participants bien des émotions fortes. Une réédition ayant été déclarée possible, qui sait, peut-être vous aussi recevrez-vous un jour une certaine lettre ?
Crédits
Organisation : les Masques de Dana’t
Concepteurs : Alain Langlois, Yann Lasbleiz, Laurent Saada, Brigitte Beauzamy, Turg, Marie Sidot et Nabil
Photos : Sylvain Dollez https://www.facebook.com/othoth75?fref=ts